Filière bovine : le chaos … et après ?

La filière bovine française a survécu à la crise sanitaire de la vache folle voici près de 25 ans. Saura t’elle résister au choc tarifaire suite à la réduction de l’offre en Europe ? Puisque le Salon International de l’Agriculture vient de fermer ses portes sans apporter la réponse à cette interrogation, Culture Viande se doit d’établir un diagnostic avant de tracer quelques pistes… pour satisfaire la demande de viande en France, prioritairement, mais bien au-delà des frontières assurément, car le monde n’est pas VEGAN.

LE CHOC DES PRIX

Depuis la fin de l’été 2021, et avec une accélération sans précédent sur ces 10 premières semaines de 2022, la surenchère journalière sur tous les animaux s’apparente à une véritable fuite en avant certes bienvenue pour les éleveurs mais forcément très risquée pour les abattoirs.

Cotations sept. 21 / mars 22 (en €/kg)Évolution du prix des carcasses avec os
Jeune bovin U4,10 / 4,90+ 20 %+ 80 cts / kg
Vache R4,00 / 4,60+ 15 %+ 60 cts / kg
Vache O3,30 / 4,20+ 27 %+ 90 cts / kg

Cette envolée des cotations est la conséquence directe d’une offre réduite dont les stigmates apparaissent depuis 5 ans et dont la cause principale se résume en un mot : DECAPITALISATION.

Premier cheptel européen, le troupeau français (près de 20 % environ) est un PATRIMOINE (les races) développé par des producteurs talentueux et passionnés, sur un territoire propice, façonné par la PAC et encouragé par un environnement industriel volontariste.

Sa performance économique n’est malheureusement pas au rendez-vous sur la durée et en réponse naturelle à des revenus annuels anormalement bas, voire indécents, la production ne cesse de baisser depuis 2016 :

–  651 000 vaches mères sur 5 ans

Dans le détail et sans avoir d’explication sur le pourquoi d’une rupture de l’offre aussi marquée en ce début 2022, le cheptel laitier a perdu 263.000 têtes et le cheptel allaitant 388.000 têtes, soit, au final, bien plus de 10 % en calcul actuariel… et des perspectives à moyen terme alarmantes. D’autant plus que l’échelle des âges chez les producteurs, l’agribashing, les évolutions sociétales, les exigences RSE et autres réglementations bien-être animal, sécurité sanitaire… ne cessent « d’alourdir la barque ».


CASSER LA TENDANCE

– A l’instar des industriels du lait -‘’l’or blanc’’ en production baissière également et pour lequel la filiation vache / veau interpelle, les abatteurs/transformateurs de viande se doivent de réagir pour préserver le gisement. Dans l’immédiat, EGALIM ou pas, ils initient, accompagnent la hausse en amont et se préoccupent du sourcing de demain sur un modèle d’approvisionnement en pleine mutation : la pratique de la cueillette doit laisser place à une sécurisation des approvisionnements, une contractualisation amont plus ou moins large où coûts de production, état du marché (offre / demande) et équilibre carcasse sont les variables à intégrer.

Vaste, très vaste chantier à traiter en urgence – un vrai challenge sur des productions de cycle long, 3 ans au minimum – et dans une actualité brûlante : le projet ‘’farm to fork’’ au niveau Europe, le plan protéines végétales en France, les méthaniseurs partout, et l’Ukraine…

– Côté aval, l’équation prix (autant d’inconnues que de muscles) ne sera pas simple à traiter et il est même permis de penser, au vu des dernières négociations achevées le 1er mars que la nouvelle donne se fera dans la douleur. EGALIM 1, EGALIM 2, c’est même combat, même impasse et toujours les pires difficultés à répercuter aussi bien la hausse des coûts industriels que la revalorisation des matières premières agricoles. Lesquelles, restées trop longtemps sous la pression du commerce, manquent aujourd’hui pour les viandes industrielles mais pas seulement. Demain, que restera-t-il de disponible en viande de qualité ? Et tout comme le modèle des approvisionnements va muter, celui de la commercialisation des viandes devra prendre en compte l’impérieuse nécessité d’un rééquilibre avant / arrière, sauf à rendre les muscles à griller trop onéreux. La consommation des viandes hachées sous toutes ses formes (ultra-frais et surgelé / cuit et cru type tartare) ne cesse de progresser (plus de 50 % de la consommation de viande ?), toutes les catégories de bovins sont à ce jour concernées… ainsi que de plus en plus de muscles étoilés, d’où une profonde révision de la sempiternelle balance carcasse.


AGIR MAINTENANT

La viande bovine va manquer ? Assurément oui à première analyse, mais il est encore temps, pour limiter les dégâts, de prendre les bonnes mesures à deux niveaux :

1. Ça n’est pas « ringard » d’appeler au retour de la raison en termes de réflexion sur l’agriculture et de réclamer haut et fort aux Politiques une réhabilitation des productions animales, certes sur des modèles à faire évoluer (transférer les jeunes animaux en Italie et en Espagne n’est plus acceptable), mais dans une démarche clairement annoncée et libérée de trop nombreuses contraintes politico-réglementaires.

2. La répartition de la valeur et la possibilité pour tous les acteurs de la filière de vivre de son travail en assurant sa mission, sa vocation est une obligation : – les éleveurs : faire le pari d’un avenir meilleur et se maintenir, en volume comme en qualité, au sommet de l’Europe ; – l’abattage/découpe : valoriser sans faiblesse le travail de ses apporteurs et s’arc-bouter sur la défense des prix de la viande ; – le commerce : comprendre les enjeux stratégiques, économiques et sociétaux… au risque de briser la chaîne de production.

Indépendance alimentaire et plaisir de bien se nourrir sont des priorités comme des enjeux.

Décapitalisation et cotations

A lire également : art. Les Echos du 7/03/2022 : ici.

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